Lettre des rapporteurs de l’ONU au président Kaïs Saïed

PALAIS DES NATIONS • 1211 GENEVA 10, SWITZERLAND

Mandats de la Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats; de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression; de la Rapporteuse spéciale sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme

 

Réf. : AL TUN 4/2024

(Veuillez utiliser cette référence pour répondre)

30 mai 2024

Excellence,

Nous avons l’honneur de nous adresser à vous en nos qualités de Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats; Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression; Rapporteuse spéciale sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, conformément aux résolutions 53/12, 52/9, 50/17 et 52/4 du Conseil des droits de l’homme.

 

Dans ce contexte, nous souhaiterions attirer l’attention du Gouvernement de votre Excellence sur des informations que nous avons reçues concernant la situation des magistrats et des avocats, qui semblent faire l’objet d’une répression et d’un harcèlement judiciaire croissants. Nous attirons l’attention du Gouvernement en particulier sur les entraves au travail de l’Association des magistrats tunisiens (AMT) et de son président, ainsi que les informations sur arrestations, tortures et harcèlements d’avocats en raison de l’exercice du leur droit à la liberté d’expression, à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, et de leurs fonctions d’avocat.

 

Nous profitons de cette occasion pour rappeler la situation des 57 magistrats révoqués le 1er juin 2022 par le décret présidentiel (AL TUN 6/2022) puisque le 1er juin 2024 cela fera deux ans qu’ils ont été révoqués, sans que le Ministre de la justice n’accepte de réintégrer les 49juges qui ont obtenu des jugements de tribunaux administratifs en leur faveur, le 10 août 2022.

 

Selon les informations reçues, il y aurait une nouvelle expansion de l’influence du Ministère de la justice au sein du système judiciaire tunisien en exploitant le vide institutionnel qui s’est produit après que le Ministère lui-même aurait créé des postes vacants dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature provisoire, institution établie par le président de la République par le décret n° 11/2022 qui a remplacé le Conseil élu qui garantissait les fondements de l’indépendance judiciaire.

 

Deux membres du Conseil supérieur de la magistrature provisoire ont été mutés lors de la dernière mobilité judiciaire 2023/2024 et deux autres ont pris leur retraite sans que leurs remplaçants ne soient nommés. Cela a empêché le Conseil supérieur de la magistrature provisoire de se réunir pendant plus de 6 mois, et l’absence de quorum a conduit à sa paralysie complète. Les rapports décrivent que le Ministère de la justice a alors commencé à utiliser le mécanisme des mémorandums de travail, de manière arbitraire et en dehors de tout cadre juridique, pour apporter des changements fondamentaux à la composition des tribunaux, de leurs présidents, des juges du ministère public, des juges d’instruction et des chambres judiciaires.

D’après les informations reçues, jusqu’à présent, les notes de travail émises par le Ministère de la justice comprenaient la reconduction ou la privation de responsabilités judiciaires majeures à des premiers présidents des cours d’appel de Jendouba, Gafsa, Sfax et Gabès, et à des procureurs généraux des cours d’appel de Baja, Monastir, Gabès et Sidi Bouzid, à des présidents des tribunaux de Kasserine, Sidi Bouzid, Ariana, Mahdia, Nabeul et Jendouba, des procureurs de la République à Sidi Bouzid, Ben Arous, Bizerte, Mahdia, Monastir, Kasserine et Tunis, ainsi que de nombreux juges du parquet, juges instructeurs, juges du conseil et juges des pôles judiciaires spécialisés. Les notes comprennent des suspensions de travail, avec ou sans salaire, en dehors de toute procédure disciplinaire, et semblent être des licenciements arbitraires.

Des informations suggèrent que certaines notes de transfert ont été émises à la suite d’interrogatoires de juges de la part de l’Inspection générale du Ministère de la justice sur leur jurisprudence, la portée de leurs jugements ou de leurs décisions, en violation totale de l’indépendance et de l’impartialité du travail judiciaire. Il suggère en outre que ces changements, intervenus au milieu de l’année judiciaire, ont perturbé le fonctionnement des tribunaux, apparaissant comme des représailles ou des punitions. Il s’agit notamment du transfert de juges dans des départements éloignés de leur lieu de résidence et de rétrogradations, en violation flagrante du principe d’inamovibilité exigé par les normes internationales.

Participation d’AMT à la réunion annuelle du Groupe africain de l’Association internationale des juges

Dans le contexte susmentionné, l’AMT a été invitée à participer à la réunion du groupe régional africain de l’Union internationale des juges (UIM). La réunion a été organisée par l’Association nationale des juges de première instance du Libéria et a eu lieu à Monrovia du 5 au 10 mai 2024.

Le président de l’AMT, le juge Anas Hmedi, a demandé un congé de cinq jours pour assister à la réunion annuelle. Ce congé lui a été refusé et il n’a donc pas pu voyager. Le refus du Ministère de la justice ne contenait aucune justification et a privé le Président de l’AMT de son droit constitutionnel de voyager en sa qualité de syndicat et a restreint ses activités.

L’AMT a publié un communiqué le 4 mai 2024 pour protester contre le fait que son président s’est vu refuser l’autorisation de quitter le pays pour assister à la réunion annuelle du groupe africain de la UIM, qui devait débuter le lundi 6 mai à Monrovia.

L’AMT a rappelé que l’UIM est une organisation internationale qui regroupe des associations de 92 pays et qu’elle est dotée du système consultatif ECOSOC auprès des Nations unies, soulignant que son objectif est d’œuvrer notamment pour soutenir et assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire et des juges dans les Etats membres qui lui sont affiliés et de protéger les juges contre toute forme de pression, condition essentielle à la consolidation de l’Etat de droit et à la protection des droits et des libertés.

L’AMT a exprimé sa profonde préoccupation quant au fait que l’exécutif tente d’isoler les juges tunisiens, les empêchant de faire entendre leur voix et leurs préoccupations, et d’exprimer leurs opinions et positions sur les questions relatives à l’indépendance de la justice et des juges dans le cadre de l’activité fondamentale de l’Union et du principe de solidarité des juges pour protéger les garanties fondamentales de l’indépendance de la justice.

Cette décision porte atteinte au droit de tous les juges de se réunir, de s’organiser, de s’exprimer et d’exercer tous les droits qui leur sont reconnus en tant que citoyens, ainsi qu’à leur droit de s’ouvrir à des structures internationales indépendantes qui œuvrent à la consolidation des principes d’indépendance de la justice et à la protection des juges contre toute forme de pression politique.

Arrestation d’avocats et perquisition des locaux de l’ordre des avocats

 Cas de Sonia Dahmani

 Sonia Dahmani est une avocate tunisienne et chroniqueuse dans plusieurs médias.

Le 10 mai 2024, elle s’est réfugiée et a entamé un « sit-in » de protestation dans les locaux de l’Ordre des avocats tunisiens à Tunis, par crainte d’être placée en garde à vue, après avoir appris par le bâtonnier de la section régionale de Tunis qu’elle allait être convoquée devant le juge d’instruction du Tribunal de première instance de Tunis. L’accusation portée contre Mme Dahmani serait liée à ses déclarations dans une émission de télévision et serait basée sur le décret-loi numéro 54.

Plusieurs avocats auraient assisté à l’audience au nom de Sonia Dahmani et ont présenté une demande de report de l’audience. La demande a été rejetée par le juge d’instruction en charge de l’enquête qui a décidé d’émettre un mandat d’arrêt à l’encontre de Mme Dahmani et a annoncé qu’elle serait jugée sur la base de l’article 24 du décret 54 largement contesté.

Le 11 mai, des policiers présumés vêtus de vêtements civils noirs et de cagoules ont pris d’assaut les locaux de l’Ordre des avocats tunisiens à Tunis dans la soirée, ont violemment détenu Mme Dahmani et l’ont traînée hors des locaux. Il n’est pas certain qu’ils disposaient d’un mandat d’arrêt. De nombreux avocats et passants ont également été violemment manipulés, comme le montrent les vidéos partagées sur les médias sociaux.

Dans une seconde affaire, elle a été poursuivie par le Ministère de la justice et plus particulièrement par le Comité général des prisons et de la rééducation, conformément aux dispositions du décret-loi n° 54, pour des propos tenus à l’antenne et pour « diffusion de fausses nouvelles et informations dans le but de nuire à la sécurité publique, de diffamer et d’inciter autrui ».

Dans une déclaration aux médias, un membre du Comité de défense de l’avocate Sonia Dahmani, a annoncé le report de l’audience de son client précédemment prévue pour le 15 mai 2024.

Cas de Mehdi Zahgrouba

Mehdi Zaghrouba est avocat tunisien, défenseur des droits de l’homme et membre du bureau exécutif de l’Association tunisienne des jeunes avocats (ATJA).

Moins de 48 heures après la violente détention de Mme Dahmani, les locaux de l’Ordre des avocats ont de nouveau été perquisitionnés par de présumés policiers en tenue sombre et cagoulés et Mehdi Zaghrouba a été arrêté le 13 mai.

Me. Zaghrouba aurait été arrêté suite à sa participation à la mobilisation en faveur de l’avocate Sonia Dahmani au tribunal de Tunis. Il a été placé en garde à vue, en vertu de l’article 46 du décret-loi organisant la profession d’avocat, a indiqué un porte-parole du tribunal de première instance de Tunis. Selon ledit article « en cas de flagrant délit, la police judiciaire engage toutes les procédures à l’exception de l’audition de l’avocat ». Dans une déclaration, le porte-parole a souligné que Me. Zaghrouba avait agressé deux agents de sécurité, alors qu’ils exerçaient leur profession au siège du Tribunal de première instance de Tunis. Il allègue que Me. Zaghrouba aurait également tenté de faire sortir par la force les deux agents de sécurité des locaux du Tribunal. Le porte-parole du tribunal a noté qu’une séquence vidéo relayée sur les réseaux sociaux et la vidéo des caméras de surveillance confirmeraient ses allégations. Dans un communiqué sur sa page officielle, le ministère de l’Intérieur confirme aussi cette version, considérant qu’il s’agit d’un outrage à agent public. La vidéo en question ne semble plus disponible sur les réseaux sociaux.

Me. Zaghrouba nie ces allégations.

Les locaux de l’Ordre des avocats tunisiens à Tunis ont été endommagés lors de la perquisition. Des panneaux de verre ont été brisés, des meubles ont été renversés et des documents ont été jetés par terre.

Me. Zaghrouba a déclaré qu’après son arrestation et dès qu’ils l’ont fait monter dans le « taxi collectif », les policiers l’ont déshabillé et lui ont recouvert la tête d’un débardeur. Il a subi des violences physiques et verbales pendant le trajet jusqu’au poste de police de L’Aouina. Il aurait été sévèrement battu et frappé par les policiers jusqu’à ce qu’il s’évanouisse.

Les visiteurs de Me. Zaghrouba ont observé des marques de coups, des ecchymoses et des éraflures sur différentes parties de son corps, notamment son épaule droite, son dos, ses jambes, ses bras et que trois doigts de sa main droite étaient recouverts de bandages. Interrogé sur la nature de ses blessures, il a déclaré qu’il ne savait pas exactement de quel type de blessure il souffrait, car il n’était pas conscient lorsqu’il a reçu une assistance médicale, mais il se souvient qu’ils ont marché sur sa main. Une déclaration de l’Ordre des avocats de Tunisie après les événements a appelé à mettre fin à « l’abus de pouvoir » et à la violence suite à une descente de police au siège de l’Ordre et à l’arrestation musclée de deux avocats.

Le 15 mai 2024, Me. Zaghrouba a été présenté au juge d’instruction. Les avocats ont remarqué des marques sur différentes parties du corps de Me. Zaghrouba. Ils ont demandé au juge d’instruction d’en faire mention dans le procès-verbal d’interrogatoire et de reporter l’audience jusqu’à ce qu’il puisse être examiné par un médecin légiste et ouvrir une enquête pour actes de torture. Le juge d’instruction a constaté des marques de violence sur le corps de Me. Zaghrouba. Le juge d’instruction a informé les avocats que la demande d’examen médical a été rejetée par le Procureur général pour des raisons de sécurité et a ordonné de poursuivre l’audition. L’état de santé de Me. Zaghrouba s’est rapidement détérioré, il a commencé à vomir, puis il a perdu connaissance. A ce stade, le juge d’instruction a décidé de placer Me. Mehdi Zaghrouba en détention provisoire. Me. Zaghrouba a été transféré à l’hôpital en ambulance, et plus tard dans la nuit, il a été transféré à la prison civile de Borj el Amri.

Cas de Chawki Tabib

Le bâtonnier de l’Ordre des avocats, ancien président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption et défenseur des droits de l’homme, Me. Chawki Tabib, a entamé une grève de la faim et un « sit-in » ouvert dans les locaux de l’Ordre des avocats de Tunisie le 30 avril 2024.

L’ancien président de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption a affirmé, dans un communiqué de presse, avoir pris cette décision afin de protester contre « le harcèlement judiciaire contre les avocats et sa personne, les campagnes de diffamation dont il fait l’objet depuis quatre ans et l’interdiction de voyager prise à son encontre ».

Me. Chawki Tabib a été déféré, le 1er avril 2024, au pôle judiciaire économique et financier. Son comité de défense a affirmé qu’il fait l’objet d’accusations de faux commis par un agent public, de détention et d’usage de documents falsifiés, et de diffusion d’écrits à des tiers, sans l’autorisation de leur propriétaire. La plainte a été déposée par un chef d’entreprise en 2020, alors que Me. Chawki Tabib était à la tête de l’Instance Nationale de Lutte contre la Corruption. Il fait également l’objet d’une décision d’interdiction de voyager depuis le 8 janvier 2024.

Me. Tabib, a annoncé le 14 mai sur les réseaux sociaux qu’il mettait fin au « sit- in » qu’il avait observé dans les locaux de l’Ordre des avocats à Tunis. Il a expliqué qu’il a pris cette résolution pour se concentrer sur les problèmes qui assaillent ses collègues en ce moment.

Sans vouloir préjuger à ce stade de l’exactitude des informations reçues, nous tenons à exprimer notre plus vive préoccupation quant à la situation précaire actuelle des juges, avocats et défenseurs des droits de l’homme, qui semblent faire l’objet d’une répression et d’un harcèlement judiciaire croissants.

En particulier, nous sommes préoccupées par la série d’actions entreprises qui, séparément et en combinaison, semblent viser à saper le fonctionnement indépendant de ces institutions dans le pays. Si ces rapports sont confirmés, cette ligne de conduite constituerait une violation des normes internationales en matière de droits de l’homme concernant le droit à un procès équitable et l’indépendance du pouvoir judiciaire.

A cet égard, nous tenons à rappeler que le droit à un procès équitable et public devant un tribunal indépendant et impartial est prévu par les normes internationales en matière de droits de l’homme et qu’un tribunal compétent et indépendant est l’une des garanties d’un procès équitable. L’exigence d’indépendance concerne notamment la procédure et les qualifications pour la nomination des juges, les garanties relatives à la sécurité de leur fonction et les garanties de respect de leurs décisions indépendantes. Cette exigence serait étroitement liée aux allégations des actions entreprises par le ministère de la Justice qui font l’objet de la présente communication.

Nous sommes également très préoccupées par les informations reçues concernant des mesures qui pourraient être considérées comme des représailles contre le Président de l’AMT pour son suivi de la situation actuelle et pour avoir agi en réponse à la révocation de 57 magistrats. Les Procédures spéciales avait déjà abordé la situation du juge Hmedi dans la communication AL TUN 6/2022 du mois d’août 2022.

Conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme, les magistrats jouissent, comme les autres citoyens, de la liberté d’expression, de croyance, d’association et de réunion ; toutefois, dans l’exercice de ces droits, les juges doivent toujours se conduire de façon à sauvegarder la dignité de leur charge ainsi que l’impartialité et l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Les juges sont libres de former des associations de juges ou d’autres organisations et d’y adhérer pour représenter leurs intérêts, promouvoir leur formation professionnelle et protéger leur indépendance judiciaire.

En ce qui concerne les avocats, nous sommes extrêmement préoccupées par les allégations de détention violente, de torture et de représailles à l’encontre de Mme Dahmani, Me. Zahgrouba et Me. Tabib, qui témoignent d’une répression et d’un harcèlement judiciaire croissants à l’encontre des avocats représentant des personnes impliquées dans des affaires politiques en Tunisie.

Nous sommes particulièrement préoccupées par le fait que ces attaques ont été perpétrées en raison de l’exercice légitime des fonctions professionnelles de ces personnes en tant qu’avocats, et l’exercice légitime et pacifique de promotion et défense des droits de l’homme. Nous voudrons souligner que les normes internationales en matière de droits de l’homme prévoient que les avocats ont le droit d’exercer leurs fonctions professionnelles sans être menacés, intimidés ou harcelés. Nous saisissons cette occasion pour rappeler que les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme qui lient la Tunisie ont été interprétés comme reconnaissant le rôle crucial des avocats dans la garantie d’un procès équitable, la fourniture d’une assistance juridique dans le contexte des droits économiques, sociaux et culturels, et la garantie d’un accès égal au système judiciaire.

Si elles sont avérées, ces allégations sont susceptibles de constituer une atteinte grave à l’indépendance des juges et des avocats, à la liberté et à la sécurité des personnes, à la liberté d’expression et d’opinion, à la liberté d’association, au droit de prendre part à la direction des affaires publiques et au droit à un procès équitable, tels que garantis par les articles 5, 9, 19, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et les articles 7, 9, 14, 19, 21, 22 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Tunisie le 18 mars 1969.

En relation avec les faits allégués ci-dessus, nous vous prions de bien vouloir vous référer à l’annexe ci-jointe qui énonce les textes relatifs aux instruments juridiques et autres standards établis en matière de droits de l’homme.

Comme il est de notre responsabilité, en vertu des mandats qui nous ont été confiés par le Conseil des droits de l’homme, de solliciter votre coopération pour tirer au clair les cas qui ont été portés à notre attention, nous serions reconnaissants(es) au Gouvernement de votre Excellence de ses observations sur les points suivants :

  1. Veuillez nous fournir toute information ou tout commentaire complémentaire en relation avec les allégations susmentionnées.
  2. Veuillez indiquer la base juridique et factuelle de la décision du ministère de la Justice de ne pas autoriser la demande de congé du juge Hmedi pour se rendre au Libéria. Veuillez expliquer comment ces mesures sont conformes aux garanties judiciaires applicables en vertu des obligations en matière de droits de l’homme et du droit
  3. Veuillez indiquer la base juridique et factuelle de la décision du ministère public et du tribunal de première instance de Tunis d’arrêter Mme Dahmani et Me. Zahgrouba. Veuillez expliquer en quoi ces mesures sont conformes aux garanties judiciaires applicables en vertu des obligations de respect des droits de l’homme et du droit
  4. Veuillez indiquer quelles mesures ont été prises pour garantir que tous les avocats, comme Me. Zahgrouba, Mme Damani et Me. Tabib, puissent travailler dans un environnement favorable et exercer leurs activités légitimes et leurs droits fondamentaux, y compris la liberté d`expression et la liberté de réunion pacifique et association, sans craindre pour leur sécurité.

Cette communication, ainsi que toute réponse reçue du gouvernement de votre Excellence, seront rendues publiques dans un délai de 60 jours sur le site internet rapportant les communications. Elles seront également disponibles par la suite dans le rapport habituel présenté au Conseil des Droits de l’Homme.

Dans l’attente d’une réponse de votre part, nous prions le Gouvernement de votre Excellence de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des droits et des libertés des individus mentionnés, de diligenter des enquêtes sur les violations qui auraient été perpétrées et de traduire les responsables en justice. Nous prions aussi votre Gouvernement d’adopter, le cas échéant, toutes les mesures nécessaires pour prévenir la répétition des faits mentionnés.

Nous pourrions exprimer publiquement nos préoccupations dans un proche avenir car nous considérons que l’information reçue est suffisamment fiable pour signaler une question justifiant une attention immédiate. Nous estimons également que l’opinion publique se doit d’être informée des répercussions potentiellement occasionnées par les faits allégués. Le communiqué de presse indiquera que nous avons pris contact avec le Gouvernement de votre Excellence afin de clarifier le sujet en question.

Veuillez agréer, Excellence, l’assurance de notre haute considération.

Margaret Satterthwaite

Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats

Irene Khan

Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression

Gina Romero

Rapporteuse spéciale sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association

Mary Lawlor

Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme

 

Annexe

Références aux instruments juridiques et autres standards établis en matière de droits de l’homme

 En relation avec les faits allégués ci-dessus, nous attirons l’attention du gouvernement de votre Excellence sur les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ratifié par la Tunisie le 18 mars 1969.

L’article 9 garantit le droit de tout individu à la liberté et à la sécurité de sa personne, y compris l’interdiction des arrestations et détentions arbitraires, le droit de toute personne arrêtée d’être informée, au moment de son arrestation, des raisons de celle-ci, et le droit de toute personne arrêtée d’être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Nous rappelons également que l’arrestation et la détention d’un individu en raison de l’exercice de ses droits et libertés garantis par les articles 7, 13, 14, 18, 19, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et par les articles 12, 18, 19, 21, 22, 25, 26 et 27 du Pacte peuvent être considérées comme arbitraires.

Nous souhaitons également attirer votre attention sur l’observation générale n° 35 du Comité des droits de l’homme, qui stipule que les Etats doivent veiller à ce que toutes les personnes privées de liberté soient promptement informées de leurs droits et qu’elles bénéficient de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur détention, y compris l’accès rapide à un avocat de leur choix et des entretiens confidentiels avec cet avocat. Pour une personne privée de liberté, y compris en cas d’assignation à résidence, le droit d’accès à un avocat est une condition préalable à l’accès à d’autres droits, tels que le droit de contester la légalité de la détention, et constitue une garantie contre les violations de l’intégrité physique et mentale d’une personne. En outre, dans son observation générale 32 (2007) sur l’article 14, le Comité des droits de l’homme a souligné que le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable est un élément clé de la protection des droits de l’homme et constitue un moyen procédural de sauvegarder l’État de droit (CCPR/C/GC/32, paragraphe 2). L’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Tunisie, prévoit notamment le principe d’égalité devant des cours et tribunaux compétents, indépendants et impartiaux, la présomption d’innocence, l’octroi du temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense et le droit de l’accusé de communiquer avec le conseil de son choix. Les garanties d’un procès équitable ne peuvent jamais faire l’objet de mesures dérogatoires qui contourneraient la protection des droits indérogeables (CCPR/C/GC/32, paragraphe 6).

Nous attirons également l’attention du gouvernement de votre Excellence sur le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui stipule que toute personne arrêtée ou détenue du chef d’une infraction pénale doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable ou libéré.

L’article 14(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques consacre les exigences d’indépendance et d’impartialité du pouvoir judiciaire. Comme l’a déclaré le Comité des droits de l’homme, il s’agit de droits absolus qui ne peuvent faire l’objet d’aucune restriction (observation générale 32, paragraphe 19). Comme l’a également souligné le Comité des droits de l’homme, ils protègent « l’indépendance effective du pouvoir judiciaire contre les ingérences politiques des pouvoirs exécutif et législatif ». Les Etats doivent adopter des mesures concrètes pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire » (voir ibid.).

Les principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, adoptés par les Nations unies en 1990, stipulent que toutes les institutions gouvernementales et autres doivent respecter et se conformer à l’indépendance de la magistrature (principe 1) et que les juges doivent statuer sur les affaires en toute impartialité, sur la base des faits et conformément à la loi, « sans aucune restriction et sans aucune influence, incitation, pression, menace ou ingérence indue, directe ou indirecte, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit » (principe 2).

Les principes fondamentaux établissent également qu' »aucune ingérence indue ou injustifiée ne doit être faite dans le processus judiciaire » (principe 3), et que toute personne a le droit d’être jugée par les tribunaux ordinaires conformément aux procédures établies par la loi (principe 3), 5). Le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire « autorise et oblige le pouvoir judiciaire à veiller à ce que les procédures judiciaires soient conduites conformément à la loi et dans le respect des droits des parties » (principe 6).

Le principe 8 prévoit que, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme, les membres du pouvoir judiciaire ont, comme les autres citoyens, droit à la liberté d’expression, de croyance, d’association et de réunion ; toutefois, dans l’exercice de ces droits, les juges doivent toujours se conduire de façon à préserver la dignité de leur charge ainsi que l’impartialité et l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les normes prévoient également que les juges sont libres de former des associations de juges ou d’autres organisations et d’y adhérer pour représenter leurs intérêts, promouvoir leur formation professionnelle et protéger leur indépendance judiciaire (principe 9).

Nous attirons également l’attention du gouvernement de votre Excellence sur les articles 19, 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui garantissent respectivement le droit à la liberté d’expression et d’opinion et les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association. Nous rappelons également que le droit à la liberté d’expression comprend le discours politique, le commentaire sur les affaires personnelles et publiques, la propagande électorale, le débat sur les droits de l’homme, le journalisme, l’expression culturelle et artistique, l’enseignement et le discours religieux. Les restrictions au droit à la liberté d’expression doivent être compatibles avec les exigences énoncées à l’article 19 (3), c’est-à-dire qu’elles doivent être prévues par la loi, poursuivre un but légitime, et être nécessaires et proportionnées. Il incombe à l’État de démontrer que ces restrictions sont compatibles avec le Pacte.

Nous voudrions également renvoyer le gouvernement de votre Excellence aux Principes de base relatifs au rôle du barreau, adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, qui s’est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990.

Le principe 16 établit l’obligation pour les autorités publiques de veiller à ce que les avocats (a) puissent exercer toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ou ingérence indue ; (b) puissent voyager et consulter leurs clients librement, tant dans leur pays qu’à l’étranger ; et (c) ne fassent pas l’objet, ou ne soient pas menacés, de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toute action entreprise conformément à leurs obligations, normes et déontologie professionnelles reconnues. En outre, lorsque la sécurité des avocats est menacée dans l’exercice de leurs fonctions, ils doivent être protégés de manière adéquate par les autorités (principe 17). Enfin, les avocats ne doivent pas être assimilés à leurs clients ou à la cause de leurs clients du fait de l’exercice de leurs fonctions (principe 18).

Nous attirons également votre attention aux principes fondamentaux énoncés dans la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, également connu sous le nom de « Déclaration de l’ONU sur les défenseurs ». En particulier, les articles 1 et 2 de la Déclaration stipulent que chacun a le droit de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international et chaque État a, au premier chef, la responsabilité et le devoir de protéger, promouvoir et rendre effectifs tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales.

En outre, nous souhaitons porter à l’attention du Gouvernement de votre Excellence les dispositions suivantes de la Déclaration de l’ONU sur les défenseurs :

  • l’article 5, alinéas a) et b), qui établissent que chacun a le droit de se réunir et de se rassembler pacifiquement, et de former des organisations, associations ou groupes non gouvernementaux, de s’y affilier et d’y participer, afin de promouvoir et protéger les droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
  • l’article 6, alinéa c), qu’établit que chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, d’étudier, discuter, apprécier et évaluer le respect, tant en droit qu’en pratique, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales et, par ces moyens et autres moyens appropriés, d’appeler l’attention du public sur la question ; et
  • l’article 9, para. 3, alinéa c), qui établit que chacun a le droit, d’offrir et prêter une assistance juridique pour la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Lettre des rapporteurs de l ONU au président Kaïs Saïed

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